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Allez, soyons honnêtes, nous rêvions d'une "confrontation" Rolland/Derenoncourt, avec les deux dans la même pièce, le ring, la boue, tout ça. Et puis les plannings respectifs des deux consultants, ultra-chargés, n'a pas permis de le faire. Il faut néanmoins souligner que les deux étaient partants pour cette rencontre.

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Nous avons fait la connaissance de Jean-Philippe Fort lors de la dégustation parcellaire mémorable de Troplong-Mondot (en juillet 2011). Nous avions senti vraiment la personne passionnée, qui aime partager son amour du vin, et particulièrement de Troplong-Mondot : il ne cache pas que c'est l'un de ses domaines favoris. Comme il conseille d'autres domaines-phares de Saint-Émilion comme Valandraud ou Beau-Séjour Bécot – mais aussi Haut-Carles qui est considéré par beaucoup comme l'un des plus beaux vins de la Rive droite – il nous paraissait être l'homme de la situation pour évoquer les méthodes de vinification. Et nous n'avons pas été déçus. La discussion s'est avérée passionnante, et il a fallu que je fasse des grosses coupes dans ses propos pour qu'ils puissent tenir dans deux pages.

Nous ne pouvions pas passer à côté de l'oxygénation des vins qui a fait les beaux jours de Mondovino. Voilà ce qu'il en dit :

"J'ai été très influencé par un homme extraordinaire : Patrick Ducournau. Il a montré le rôle fondamental de l'oxygène dans l'évolution des vins durant leur élevage. Lorsque je l'ai rencontré à la fin des années 80, en suivant des stages qu'il animait, je me suis dit : « à Bordeaux, il faut tout revoir ». C'est là que l'on a commencé à parler des élevages sur lie, du cliquage, des fréquences de soutirage, de micro-oxygénation, des mesures d'oxygène dissous, des chais thermorégulés. Le vin est un magma de différents couples d'oxydo-réduction. Il est donc difficile de s'y retrouver dans les analyses. Seule la dégustation permet de prendre des décisions.

Il faut tenir compte non seulement de l'aspect organoleptique, mais aussi des mécanismes biologiques inhérents à l'oxydo-réduction. En phase de réduction, la combinaison avec l'oxygène ne fonctionne pas, alors qu'il joue un rôle fondamental dans l'élevage d'un vin rouge. Avec bien sûr des nuances : si vous avez un vin issu de Cabernet pas très mûr, avec des tanins grossiers, l'apport d''oxygène sera indispensable. Alors qu'un vin issu de Merlot très mûr, élevé en barrique neuve, n'en aura pas besoin. Entre ces deux extrêmes, il y a des choix à faire : l'élevage sur lie, le soutirage…

Chez certains clients, j'élève les vins sur lie totale, sans SOₐ ni soutirage durant deux ans. Mais je le fais de façon raisonnée. Certaines propriétés ne possèdent pas de chais climatisés, ou peuvent avoir des problèmes microbiologiques sur certains lots. Dans ce cas-là, je pratique les soutirages et j'utilise du SOₐ. Selon les conditions qui me sont présentées, je ne fais pas les mêmes choix."

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Sur les presses, le collage ou la filtration, les deux hommes sont globalement d'accord. Idem sur l'usage des levures indigènes/exogènes. Ce qui peut éventuellement les différencier, ce sont le (non)foulage des baies avant la fermentation alcoolique :

Stéphane : "Je suis totalement favorable au non-foulage. À partir du moment où tu disposes d'une cuve avec des baies intactes, tu vas être dans une autre logique de fermentation. Cela permettra d'envisager différemment les extractions. Déjà, tu as un chapeau beaucoup plus aéré parce qu'il n'y a pas de tassement, et donc beaucoup plus d'oxygène disponible. Tu n'as donc pas besoin de faire des remontages aérés à outrance, qui sont des causes d'oxydation. Tu vas aussi avoir un tri supplémentaire, car à partir du moment où une baie n'a pas atteint un certain niveau de maturité, elle n'éclatera pas – donc tu ne l'extraies pas. Elle se retrouvera intact dans tes presses. De plus, tu vas avoir une fermentation qui va se produire à l'intérieur des baies – ce qui va rallonger le processus de plusieurs jours : une cuve dont les raisins ont été foulés fermentera en sept jours ; avec des raisins non-foulés, la fermentation durera au moins 12 jours. Tu as donc beaucoup plus de temps pour placer tes extractions.

Tu n'as plus à les suivre selon un mode opératoire du genre « deux remontages par jour, un délestage à 1060 », avec des formules toutes faites qui rassurent le vinificateur. Tu adaptes ton extraction en observant l'aspect physique, qualitatif, de ton chapeau : dès qu'il est éclaté, fragilisé, qu'il y a des risques de compaction, tu lèves le pied. Avec un chapeau foulé, compacté, quel que soit le mode d'extraction, ton moût va passer par des circuits préférentiels, extrayant plus certaines parties que d'autres. Tu es quasiment certain d'obtenir des tanins secs, métalliques, alors que j'aime les tanins enrobés, sensuels."

Contrairement à la légende qui circule, les macérations préfermentaires à froid ne sont pas un passage obligé chez Rolland/Fort.

Jean-Philippe : "je ne pratique pas la macération préfermentaire à froid de façon systématique. Je continue à l'expérimenter, mais toujours de manière raisonnée. S'il y a des risques de déviation, je ne la fais pas. Par contre, je ne peux pas laisser dire qu'elle n'apporte rien. Cela dépend du style de vin que vous voulez faire. Si vous prenez par exemple un vin de garde, avec un élevage 100 % barriques neuves. Avec des raisins de la même parcelle, vous vinifiez une cuve avec une macération préfermentaire – la vraie, à 6-8 °C, durant huit jours – et une cuve de manière traditionnelle. En début d'élevage, lorsque vous faites une dégustation à l'aveugle, vous pouvez les reconnaître : vous avez un peu plus de fruit et de finesse sur la « version préfermentaire ». Au bout de seize mois d'élevage, vous ne voyez pas de différence. C'est donc un petit plus qui peut faire la différence lors des Primeurs. Elle convient aussi aux producteurs qui vendent leurs vins dans l'année qui suit les vendanges : tout le monde ne fait pas des élevages de vingt mois."

Ceci dit, ce qui distingue le plus les deux démarches, c'est que celle de Stéphane Derenoncourt est beaucoup plus axée sur la vigne et le sol. La vinification n'est qu'un passage obligé qui ne fait que valider le travail opéré en amont. C'est pour cela qu'il n'accepte un client que dans la mesure où il sera capable de mettre en place le projet global qui lui est proposé. N'arriver qu'au moment des vendanges ne l'intéresse pas : "nous leur expliquons que c'est la seule démarche possible afin de produire un vin très personnel, possédant sa propre identité. Sinon, il est assez facile de faire un vin standard, que l'on trouve partout."

Deux hommes, deux styles

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