Extrait de l'entretien avec Jean-Luc Thunevin

"Le coup de bol, c’est que je n’ai pas fait d’école. Je n’ai pas appris. Je n’avais pas mon père derrière moi qui me disait « fais ceci ou cela ». Le coup de bol, c’est que mon meilleur ami, que je connaissais depuis l’enfance, c’est Alain Vauthier, un Corrézien avec ce pragmatisme paysan. Il avait déjà beaucoup réfléchi à ce qu’il pourrait faire à Ausone. Quelque part, je lui ai servi de cobaye… Alain Vauthier nous a aussi beaucoup aidé financièrement. Nous avions emprunté 100 % à la banque et les fins de mois étaient difficiles.

Le garage

Tout a commencé ici, en 1991, dans cette maison qui appartenait autrefois aux Bécot. Le sol était en terre battue. Au début, je n’avais pas les moyens de m’offrir un érafloir – ça coûtait 50 000 francs. Nous avons essayé d’égrapper avec un « rateau », comme nous l’avions lu dans des vieux bouquins : c’était un hachis Parmentier ! On l’a donc fait à la main. Et ainsi jusqu’en 1996. L’argent est alors arrivé à flot, et nous avons pu acheter du matériel. Nous remplissions les cuves par gravité. Nous étions les premiers à le faire car nous n’avions pas de pompe. Pour les mêmes raisons, nous avons été les premiers à revenir au pigeage. Cette pratique avait été abandonné à Bordeaux car les cuves étaient immenses et que sur des raisins pas trop mûrs, c’était une horreur. La première année, nous n’avions qu’une cuve en inox – nous avons fait 1200 bouteilles – car c’est ce qu’il y avait de moins cher.

La deuxième année, j’ai demandé à mon consultant favori : « Alain, quelle cuve est la meilleure ? Celle en bois ou en inox ? – la cuve en inox est moins chère, on peut en reprendre une d’occase… – … non, Alain, qu’est-ce qui est le mieux ? – en bois – eh bien, je prend une cuve en bois. » J’ai acheté une cuve en bois, totalement ouverte. Ca tombait bien, parce que je voulais piger. Je me suis tout de suite rendu compte – je n’ai pas fait d’école mais je suis un intuitif – que tous les gaz s’en allaient, arômes compris. J’ai donc demandé en pleine période de vendange à Lejeune, le grand fabricant de cuves local – de me faire un couvercle en inox. Il était ravi de retourner à un travail artisanal !

Les années suivantes, nous sommes passés à des cuves plus classiques. Nous faisions l’écoulage directement en barrique, par gravité. Avec la fermentation malolactique en barrique comme pouvait le faire le Pin. Ce domaine représentait pour moi la quintessence de ce que pouvait faire Bordeaux. Un vin très fin. J’aurais presque pu dire bourguignon à l’époque, même si je ne connaissais alors pas vraiment la Bourgogne. Je me suis dit « P… ! Je vais avoir le même goût que Le Pin. » Ça me dérangeait. C’était pourtant pas idiot de ressembler à un truc qu’on idéalise. Bon, en tout cas, notre système a bien fonctionné. On a fait une cuve, puis deux, trois, quatre… car nous avons racheté des parcelles.

Nous avons collé en 1991, et seulement la moitié de la production l’année suivante : un certain Michel Rolland passedans la rue et me voit en train de battre mes blancs avec le fouet. Il me demande de goûter mes barriques. Il goûte. « Pas de collage ! » me dit-il. J’ai suivi son conseil, alors qu’il n’était pas mon oenologue. Pas de filtration non plus : nous n’avions pas le volume suffisant pour le faire.

En fait, tout cela, c’était du pragmatisme. Le bon sens du type qui n’a pas de pognon. Mais qui pensait toujours à faire le meilleur vin possible. Certains ont mis 20 ans pour s’équiper en thermorégulation. Moi j’ai compris tout de suite que c’était quelque chose d’indispensable. On n’avait pas de fric, mais on avait acheté un serpentin, une chaudière domestique, des tuyaux en plastique… et j’avais ma thermo : 8000 francs au total ! Alain Vauthier venait me la réparer lorsqu’elle tombait en panne parce que je n’avais pas assez de courant (on n’était pas en 380 V à l’époque). J’avais visité auparavant quelques châteaux médocains, et j’avais été surpris qu’ils pouvaient vinifier à des températures assez différentes selon les domaines. Ici, nous montions jusqu’à 34-35° C. Oui, j’étais un équilibriste… Ceci dit, on ne manquait pas de nutriments : les vignes que j’avais achetées étaient riches en azote.Aujourd’hui, je n’oserais plus le faire.

Maintenant, il y a plein de monde qui utilisent ces méthodes. Soit ils sont pauvres : ce sont les vrais « garagistes ». Soit ils sont riches, comme Magrez qui égrappe tout à la main, ou l’Angélus, qui fait maintenant pareil. Je l’ai dit aux dernières vendanges à Hubert de Boüard : « Moi, je le faisais parce que j’étais pauvre ! ».

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Comment le vin de garage est né...

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